Et si le succès dans le rap était une question de couleur de peau ?

Et si le succès dans le rap était une question de couleur de peau ?

Le rap est connu pour être une musique de Noirs, mais aujourd'hui, les principaux rappeurs français ne sont plus des Noirs. Loin d'être un hasard, c'est peut-être le signe que le rap n'échappe pas aux règles de l'industrie musicale.

"Elle est partie et elle est devenue Diam's parce qu'elle est blanche". Ces mots de la rappeuse Le Juiice ont récemment déclenché une polémique sur les réseaux sociaux. Elle soulève une question qui est souvent posée depuis que le rap s'est imposé comme le genre le plus écouté par les Français. Nos classements musicaux le prouvent chaque semaine. Née à l'origine dans les ghettos américains pour permettre aux Afro-Américains de dénoncer les discriminations raciales, cette musique des Noirs s'est diversifiée tant sur scène qu'au niveau de son public. Le fait que la scène rap en France soit le plus souvent dominée par des artistes blancs est pour beaucoup le signe que c'est un critère de réussite dans ce domaine. Qu'est-ce que cela nous apprend sur le rap ?

Depuis son arrivée en France dans les années 1980, le rap pose problème à une partie de la société. L'argot et la vulgarité qui peuvent caractériser ses chansons sont les principaux arguments pour disqualifier ce genre musical. Avec des groupes comme NTM, dont le nom d'artiste est l'acronyme d'une insulte, le rap a rapidement été accusé d'inciter à la violence et à la criminalité. Le même phénomène se retrouve avec l'arrivée du rock sur la scène française, comme le révèle l'exposition Paris-Londres Music Migrations : "Le rock'n'roll représente la culture afro-américaine, perçue à l'époque comme "pervertissante" pour la jeunesse". Si le rock a été accepté au fil du temps, l'image négative du rap lui est restée attachée.

Les cérémonies musicales et la couverture médiatique sont chaque année l'occasion de constater ce décalage entre l'approbation du public et le rejet des professionnels. Dans ce contexte, la catégorie "musique urbaine" a suscité de nombreuses critiques, au point d'être abandonnée par les Grammys et les plateformes musicales comme Deezer. A juste titre, sous l'appellation "musique urbaine", on peut trouver des artistes de tous les horizons musicaux, du rap au zouk. Le seul véritable point commun entre ces genres musicaux est qu'ils étaient à l'origine la musique des Noirs. Le rap apparaît donc, tout comme d'autres musiques ainsi catégorisées, comme un sous-genre exclu de la sphère musicale.

Alors que dans les premières années, le rap est présenté comme marginal et le revendique, son succès croissant relativise cette position. Peu à peu, deux types de rap se dessinent dans les médias : un bon et un mauvais. Le mauvais est celui qui traîne avec lui tous les préjugés sur le genre. L'autre est celui qui est vanté sur les plateaux de télévision comme étant "différent". Un rap qui est plus intelligent et plus poétique. Dans ce cas, les journalistes mettent en avant la culture du chanteur et ses inspirations littéraires. On ne compte plus le nombre de fois où le baccalauréat littéraire de Youssoupha a été cité. Mais la différence entre ces deux types de rap se joue là encore au niveau de l'origine des interprètes. Les personnes blanches sont d'emblée classées dans la catégorie des bons rappeurs. Grand Corps Malade ou Lomepal sont plutôt considérés comme des slameurs ou des artistes.

Quel que soit le talent de ces artistes, le fait qu'ils soient blancs est une preuve de leur capacité à valoriser un genre considéré comme mineur. Le rap, lorsqu'il est interprété par Nekfeu ou Orelsan, est comparé à la poésie. Là où chez Kaaris ou Booba, il est encore qualifié de vulgaire et de dangereux. Pourtant, chacun de ces artistes, avec son propre univers, ne fait rien d'autre que du rap. Ce double standard est caractéristique de tout phénomène d'appropriation culturelle. Nous l'avons déjà vu à l'œuvre dans différents domaines, notamment celui de la musique. C'est le cas du rock et du jazz, qui ont dû être adoptés par des artistes blancs pour être acceptés. Ce n'est donc pas le rap en soi qui pose problème, mais plutôt les personnes qui le font.

La distinction entre rappeurs blancs et non-blancs, qui ne se plient pas aux injonctions de politiser leur discours, conduit à une promotion différente des artistes. Le sociologue Sébastien Barrio explique dans sa thèse que le rap en France n'est pas né dans la rue, mais d'abord dans les médias. Ce sont eux qui ont le pouvoir de rendre les artistes visibles ou non. A la radio, à la une des magazines, sur les plateaux de télévision, les rappeurs que l'on voit le plus sont les blancs. De même, ce sont eux qui bénéficieront de critiques positives. Dans ce contexte, le Juice a affirmé que Diam's devait son succès au fait qu'elle soit blanche. Non pas parce qu'elle n'a pas de talent, mais parce qu'à talent égal, il est plus difficile pour une personne non blanche de se faire connaître.

Il suffit de jeter un coup d'œil rapide à l'ensemble du paysage musical français pour constater qu'il est plus compliqué de s'imposer dans d'autres genres musicaux. Qu'il s'agisse de pop ou de Rn&B, on ne voit pas vraiment les têtes d'affiche se renouveler, et ceux qui sont présents ont une carrière timide derrière eux. Parmi les nouveaux venus, on trouve Angèle qui, avant de se tourner vers la pop, a justement commencé sa carrière avec une affinité pour le rap. Elle s'est distinguée par des featurings avec Romeo Elvis ou MC Solaar et un style vestimentaire urbain. Ses premiers pas sur la scène musicale ont surtout été remarqués parce qu'on ne l'attendait pas en première partie du concert de Damso. Elle est l'un des symptômes de l'intégration du rap, qui était à l'origine une contre-culture, dans la culture dominante. Mais cela a eu pour effet de reproduire au sein du rap la discrimination raciale qu'il dénonçait à l'origine. Certains n'ont cependant pas dit leur dernier mot. Niska et Ninho nous le prouvent dans un clip vidéo.