Rencontre avec Mamoru Hosoda, un conteur moderne

Rencontre avec Mamoru Hosoda, un conteur moderne

Vous n'avez pas pu passer à côté : BELLE, le nouveau film de Mamoru Hosoda, est sorti fin décembre dans les salles françaises. Véritable interprétation du conte de La Belle et la Bête, le film met l'accent sur le passage à l'âge adulte, mais se révèle aussi être une critique de notre société et de ce qu'elle semble devenir. A l'occasion de sa sortie, nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec Mamoru Hosoda, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il prend très au sérieux la place de l'artiste dans la société ! Attention, si vous n'avez pas encore vu le film, cet article peut contenir des spoilers. Néanmoins, nous vous recommandons vivement d'aller voir le film.

A l'occasion du Festival de Cannes, Mamoru Hosoda avait déjà donné de nombreuses interviews dans lesquelles il revenait justement sur l'essence même du film. Le réalisateur ne cache pas qu'il a essayé de réinterpréter et surtout de moderniser le conte de la Belle et la Bête. Il a beaucoup d'affection pour les interprétations de Jean Cocteau en 1946 et de Disney en 1991, mais les deux films étaient le reflet de leur époque respective, et lorsqu'il a lancé le projet BELLE, il a voulu actualiser cette histoire d'amour qui a fait rêver plusieurs générations. Il explique très justement que dans les deux films, le personnage féminin de Belle est moins profond et moins élaboré que la Bête, qui est pleine de tourments.

De plus, la Bête possède un véritable double visage qui permet justement de donner de la profondeur au personnage. Lorsque Mamoru Hosoda a réinterprété ce classique à sa manière, il s'est particulièrement intéressé à cette dualité qui lui plaisait beaucoup. Estimant que le personnage de Belle de Jean Cocteau ou de Disney n'était plus vraiment adapté à notre époque, il a essayé de donner plus de profondeur à son personnage féminin principal, Suzu. Au fil des années, l'image de la femme a évolué et il était important pour lui que son film contribue à mettre en évidence cette évolution. Et finalement, le personnage de Suzu, tout comme celui de la Bête, n'a pas seulement une double vie et un double visage, mais aussi de nombreux tourments et questions qui lui confèrent une profondeur plus intéressante.

Contrairement aux deux films précédemment cités, dans lesquels le passage à l'âge adulte est présenté de manière moins directe, BELLE est aussi un véritable éclairage sur le passage à l'âge adulte de Suzu. Comme son héroïne, Mamoru a vécu quelques souffrances avant de devenir adulte, comme il le dit lui-même. Il se demandera même s'il est vraiment devenu adulte. Car oui, que signifie finalement être adulte ? Lorsqu'il a commencé à travailler sur le film, le réalisateur voulait absolument un personnage féminin qui a beaucoup perdu et qui est devenu timide à cause de la force des choses, comme pour se construire une carapace.

Et c'est précisément ce que nous retrouvons dans le personnage de Suzu. Elle a perdu ce qui, enfant, constituait tout son univers, sans comprendre la raison de cette perte. Perdue, Suzu s'est repliée sur elle-même pour se protéger et éviter d'être à nouveau blessée ou de l'être encore plus. Suzu va même jusqu'à se brider inconsciemment. C'est le vécu de Suzu et son incompréhension face au drame qu'elle a vécu qui ont permis à Mamoru Hosoda de lui donner une forte authenticité. C'est d'ailleurs lors de son arrivée dans l'univers alternatif de U que Suzu parvient à surmonter l'un de ses traumatismes. Et alors que dans les interprétations de Jean Cocteau et de Disney, le personnage est découvert par un homme, ce qui est représentatif d'une époque féodale, Mamoru Hosoda a plutôt cherché à ce que le personnage de Suzu se découvre lui-même et que son évolution soit le résultat de ses propres choix et non de ceux d'une tierce personne.

À sa manière, Mamoru Hosoda a également tenté de critiquer la société dans laquelle nous vivons et surtout ce vers quoi elle semble se diriger. La violence envers les enfants est justement l'un des thèmes abordés par BELLE. Le réalisateur japonais fait partie de cette génération d'enfants pour qui les châtiments corporels étaient extrêmement fréquents. C'était encore le cas en France il y a quelques années, jusqu'à ce que le gouvernement décide d'interdire la très discutée fessée, désormais considérée comme une véritable maltraitance physique. Mamoru Hosoda, également responsable du film Miraï, ma petite sœur, voit cependant ces évolutions sociales d'un bon œil.

De son point de vue, il y a des sujets qui sont particulièrement tabous au cinéma. Ils ne sont pas vraiment abordés, mais seulement survolés, alors qu'il serait important d'en parler. Pour Mamoru Hosoda, c'est le rôle des artistes de faire évoluer les mentalités et d'aborder ces tabous. Cela permet justement d'ouvrir le débat et donc d'échanger des idées. Il explique justement que la violence envers les enfants est un sujet dont il a toujours voulu parler. Et il a constaté que si tout le monde connaissait l'existence du problème, ce n'est qu'avec les enfermements liés au COVID que les gens semblaient ouvrir les yeux et réaliser que la violence envers les enfants était plus répandue qu'on ne voulait l'admettre. Lorsque Mamoru Hosoda a abordé le sujet dans BELLE, son objectif n'était pas seulement d'aborder le problème, mais de mettre en lumière les jeunes qui souffrent.

Le réalisateur est allé plus loin en expliquant qu'au Japon, la violence des enfants n'est pas seulement présente dans l'environnement familial, mais aussi extrêmement présente dans le système scolaire. En effet, le harcèlement à l'école est bien plus fréquent au Japon qu'en France. Cela s'explique par le fait qu'il existe une véritable hiérarchie entre les élèves, que l'on retrouve peut-être dans une moindre mesure chez nous. Mamoru Hosoda a une certaine vision du problème. Selon lui, on ne peut pas vraiment attendre des institutions qu'elles interviennent dans de telles situations. Elles sont soumises à trop de procédures pour que leur intervention soit vraiment efficace, et il faudrait un changement radical pour que cela change.

Hosoda explique ensuite que personne ne peut vraiment comprendre la souffrance qu'une personne doit endurer. Même pour quelqu'un qui a vécu une situation similaire, c'est compliqué. Selon lui, seuls ceux qui l'ont vécu ont le pouvoir d'aider les autres qui vivent une situation violente (psychologiquement ou physiquement). Il explique qu'à travers Suzu, mais aussi les personnages de Kei et Tomo, il a voulu créer une lueur d'espoir pour ceux qui souffrent. En effet, Suzu, le personnage principal du film BELLE, est une adolescente qui souffre, et c'est une autre version d'elle qui va l'aider à se sauver. En fin de compte, BELLE se révèle être bien plus qu'une interprétation et une modernisation du conte de La Belle et la Bête, et l'histoire créée par Mamoru Hosoda est un véritable cri du cœur pour ceux qui souffrent ou ont souffert.