Fast-fashion : qui en paie le prix ?

Fast-fashion : qui en paie le prix ?

Depuis la fin des années 90, la fast fashion ne cesse de croître. Ce que leurs prix bas veulent nous faire oublier, ce sont les coûts cachés de leurs vêtements à 10 euros : une catastrophe pour l'environnement et pour des millions de personnes. Qui paie le prix quand Zara sort 200 nouveaux modèles chaque jour ?

Amancio Ortega, le fondateur de Zara et aujourd'hui sixième homme le plus riche du monde, n'a jamais voulu faire de publicité. Il mise sur l'emplacement de ses magasins pour attirer les clients : Il investit dans les centres-villes. En Europe, on trouve les mêmes enseignes de fast-fashion dans chaque grande ville : H&M, Zara et Primark, pour n'en citer que quelques-uns. Chaque promenade est une tentation : nous y retournons pour voir les dernières nouveautés et les offres spéciales. De quatre collections par an, nous sommes passés à plus de 36 aujourd'hui. Horreur : si nous ne gardons pas un œil régulier sur les magasins, nous risquons de passer à côté de quelque chose. Une nouvelle paire de chaussures, une bonne affaire, un pyjama Harry Potter. Nous devons sans cesse nous renouveler. Remettre la même robe que pour le Nouvel An il y a trois ans ? C'est hors de question. A une époque où notre vie s'expose sur les réseaux sociaux, il faut toujours se montrer sous son meilleur jour. Prouver sa valeur sociale. Posséder de nombreux vêtements. Avoir un bon style. Se démarquer de la masse. Ainsi, la plupart des influenceurs veillent à ne pas se montrer deux fois dans la même tenue sur leur feed Instagram. Louise Aubery (Mybetterself) a dénoncé cela dans un de ses posts.

Les créateurs de contenu ont une grande influence sur nos décisions d'achat et de consommation. Ils nous donnent un aperçu de leur vie, s'adressent à nous "directement" via leurs réseaux sociaux : ils créent un sentiment de proximité. Nous nous sentons proches d'eux. Nous leur faisons plus confiance qu'à un simple panneau publicitaire. Pourtant, une vidéo publicitaire sur Instagram peut coûter 5.000 €. Plus encore que de nous présenter des marques, elles nous vendent un style de vie. Lorsque nous achetons le même sac à main, nous avons l'impression d'essayer ce style de vie. Les influenceurs reprennent simplement les grandes stratégies marketing, comme par exemple créer un sentiment d'urgence en partageant un code promotionnel limité dans le temps. Une manœuvre qui touche notre FOMO (Fear Of Missing Out) en plein cœur. Si nous manquons cette offre, nous laissons passer l'occasion d'acheter le produit à un prix imbattable. Lorsque nous faisons des achats, nous faisons appel à la zone ventrale du striatum de notre cerveau. Cette zone est directement liée aux récompenses et aux émotions positives. En contrepartie, l'achat a également tendance à générer chez l'individu un sentiment de culpabilité immédiat. Le secteur de la fast fashion, avec ses prix bas, a résolu cette équation : les petits prix activent le circuit de la récompense sans générer de sentiment de culpabilité. Chez les plus jeunes, la fast-fashion est dépassée par l'ultra-fashion. Shein ou Pretty Little Things, par exemple, produisent encore plus, encore plus vite et à des prix encore plus bas. Mais si le consommateur ne paie pas le prix, qui le paiera ?

Alors que nous avons l'impression que nos habitudes de consommation évoluent de manière positive, une mode de plus en plus rapide et nocive se développe. Certes, il y a de plus en plus de créateurs de mode éthique, de magasins de seconde main et de boutiques en ligne. Parallèlement, la marque Pretty Little Thing enregistre un chiffre d'affaires de 400 millions d'euros. Pendant le Black Friday, on pouvait trouver sur leur site des vêtements à partir de 3 €. Dans le documentaire Fast-fashion, les dessous de la mode à bas-prix, un journaliste demande au fondateur de la marque, Umar Kamani, comment il fait pour fabriquer des robes à 15 € ? L'homme d'affaires refusant de répondre, les journalistes sont escortés vers la sortie de la soirée.

Nous savons cependant comment ces vêtements sont fabriqués : au détriment de la planète et des personnes. Nous connaissons les conditions de travail inhumaines auxquelles sont soumises des milliers de personnes, en particulier des femmes et des enfants. Au Bangladesh, le bâtiment Rana Plaza s'est effondré en 2013. Ce bâtiment abritait plusieurs ateliers textiles. Il y a eu plus de 1000 morts. Pour rappel, le pays offre le salaire horaire le plus bas du monde, à savoir 0,32 dollar US de l'heure pour ses ouvrières. De nombreuses marques de fast-fashion participent également à l'exploitation du peuple ouïghour. Pour pouvoir produire toujours plus et toujours plus vite, certaines marques choisissent de produire en Europe dans des conditions similaires. En Angleterre, plus précisément à Leicester, certaines usines emploient des travailleurs non déclarés pour 3 £ de l'heure. Après une période d'essai non rémunérée de deux semaines. Les journées de travail peuvent durer jusqu'à 14 heures. L'ensemble du processus, de la création à la livraison, ne prend plus que 12 jours.

Bien que nous soyons profondément choqués par chacune de ces découvertes, nous continuons à acheter et à nier notre part de responsabilité. Nous connaissons les conséquences désastreuses pour l'environnement. Selon l'ADEME, l'industrie textile est la troisième plus grande consommatrice d'eau au monde. Cette industrie émet à elle seule 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. En l'espace de 15 ans, notre production de vêtements a plus que doublé. Nous achetons toujours plus, même si nous n'utilisons pas 70 % de notre garde-robe. En effet, nous connaissons tous le nouveau vêtement étiqueté qui reste dans notre armoire pendant des mois avant que nous ne nous décidions à le donner. Le biais réside certainement dans le fait que nous ne nous sentons pas coupables d'acheter en grande quantité parce que nous avons ensuite la possibilité de faire un don. Cela nous donne presque le sentiment de faire une bonne action : Le pull que nous n'utilisons pas sera certainement donné à une personne dans le besoin.

Selon le reportage La montagne de textile, le poids caché de notre gaspillage de vêtements, rien qu'en Europe, nous jetons chaque année 2 millions de tonnes de textile. 70% de nos dons sont envoyés en Afrique pour y être revendus sur les marchés locaux. Le Kenya, par exemple, importe 140 000 tonnes de vêtements usagés par an. Seulement, les vêtements envoyés ne sont pas tous réutilisables. Une grande partie doit être jetée. Or, le pays n'a pas la possibilité de se débarrasser de ses déchets : ils finissent dans la nature, à proximité des rivières. La décharge de Dandora est la plus grande décharge d'Afrique de l'Est : chaque jour, plus de 2.000 déchets y sont déversés par les habitants. Selon les estimations d'ACT en 2019, 20 millions de kilos de textiles sont déversés chaque année dans cette décharge. Elle a été estimée pleine dès 2001, il y a donc 20 ans. Elle est toujours utilisée. Outre la catastrophe environnementale, on observe une augmentation des maladies respiratoires causées par les vapeurs de la décharge à ciel ouvert, notamment chez les enfants.

Quel choix nous reste-t-il en fin de compte ? Consommer moins. Et le faire mieux. Nous avons demandé à Mathilde Lepage, auteur de Changeons de mode ! pourquoi nous oublions si facilement qui paie le prix de nos vêtements bon marché : "Les marques jouent sur notre besoin d'estime et de reconnaissance. A travers nos vêtements, nous essayons de véhiculer une certaine image sociale. Même si nous avons le désir de mieux consommer, nous voulons préserver notre image. La volonté de notre ego prend le pas sur nos considérations altruistes. " Mais Mathilde nous dit aussi qu'il ne faut pas bousculer les consommateurs en ce moment. Nous avons tous besoin de légèreté après des mois et des mois de restrictions sur fond de crise sanitaire. Pour elle, il est important de conquérir l'espace public et de mettre en avant des commerces plus éthiques afin de réussir cette transformation. Nous devons montrer à l'acheteur que cela vaut la peine d'acheter une pièce durable : Il est plus avantageux d'acheter un vêtement que nous réutilisons au fil des saisons qu'un vêtement de fast fashion qui se déforme après deux lavages. C'est la facture Coast per Wear : ce pull ne coûte que 10 €. Tu le portes deux fois et il est déjà pillig. Ce pull éthique coûte 80 €. Tu le portes trois fois par mois, chaque hiver, pendant cinq ans. Au final, il t'aura coûté beaucoup moins cher que son équivalent fast-fashion.

Il ne s'agit pas de remplacer aujourd'hui toute notre garde-robe par des vêtements produits dans de bonnes conditions. Mais à chaque nouvel achat, nous devons réfléchir : Ai-je vraiment besoin de ce vêtement ? Vais-je le porter régulièrement ? Aurai-je plaisir à le porter pendant plusieurs saisons ? Puis-je l'acheter de seconde main ? Ou produit de manière éthique ? En nous posant les bonnes questions, nous contribuons à créer une mode plus durable. Pour changer le monde de la mode, nous devons changer notre manière de consommer, et ce dans la mesure de nos moyens financiers.